SUBLIME(S) - création 2023/24
"Le sublime en tant qu'illimité et inconditionnel pourrait s'apparenter à une définition du maternel ou de l'amour maternel" - Emmanuel Kant
Création 2023/24
La pièce s'écrit au fil d'une
enquête intime à travers plusieurs vrais « faits divers ».
C'est une enquête documentaire et un récit initiatique.
Julie Jeanne L. a purgé une peine de prison et elle a accepté de raconter son histoire. La journaliste qu'elle rencontre et qui écrit sur son drame va être amenée à revisiter un événement tragique survenu dans son adolescence.
Les hommes de cette histoire sont absents.
Ils ont disparu, se sont retirés, n'ont pas souhaité répondre à nos questions. Pour leur donner voix, je mène l'enquête auprès de ceux que je rencontre et qui ont bien voulu mettre des mots. Ce sont des histoires qui parlent de défaillance, d'absence et de manque. D'amour aussi.
L'enfant est vivant à travers chacun de nous.
Cette pièce lui est dédiée.

JULIE JEANNE - Centre Pénitentiaire d'Orléans Saran, région Centre. Durant neuf mois, j'anime un atelier « théâtre et vidéo » à la maison d'arrêt pour femmes de la prison en partenariat avec le CDN d'Orléans.
Janvier
2017 - Je fais la
connaissance de Julie Jeanne L. qui viendra ensuite régulièrement à toutes les séances.
Je n'ai aucune idée de la
raison de son incarcération.
JULIE JEANNE
A part au début j'ai été seule en cellule
C'est 9m2 il n'y a pas de porte à la salle d'eau
Quand tu partages une cellule avec quelqu'un c'est pas évident
La seule fois que j'ai connu ça c'était à l'hôpital
Quand je suis arrivée je n'avais pas de vêtements de rechange
Je lavais mes affaires tous les soirs
C'est quelque chose que j'ai gardé par la suite
Comme un rituel
« Promenade dans dix minutes »
La journée type ça dépend si on travaille ou pas
A neuf heures il y a promenade on entend l'annonce
« Promenade dans dix minutes »
Soit on se rendort
« Promenade dans dix minutes »
Soit on part travailler à 7h30
On entend aussi le ménage dans la coursive
10h30 fin de la promenade
On rentre en cellule
On fait le ménage
Comme ça n'est pas très grand
Tout ça est très vite fait
Parfois on a un rendez-vous SPIP ou médical
SPIP c'est le Service Pénitentiaire d'Insertion et de Probation
Repas à 11h30 c'est sur un plateau on mange devant la télé
Un café une cigarette
On attend la prochaine promenade
C'est long jusqu'à 15h

LA JOURNALISTE est une partition qui revisite l'abandon familial qui nous a marquées lors de la disparition mystérieuse de mon père survenu l'année de mes quinze ans. Cette histoire a refait surface quand j'ai commencé à retranscrire le témoignage de Julie Jeanne comme si elle se nichait dans les plis de notre rencontre.
LA JOURNALISTE
Dans une enquête judiciaire on chercheA se rapprocher au plus près de la vérité
On dit qu'on cherche la vérit
Mais on sait qu'on ne pourra que s'en approcher
La vérité
Qu'est-ce c'est ?
Ça veut dire quoi la vérité ?
Quand je me regarde dans le miroir est-ce que c'est la vérité ?
Est-ce que je vois la vérité ?
Je vois une image, un reflet, une projection
Je vois quoi ?
Moi ?
C'est qui ?
Quand on dit « je suis comme ça » qu'est-ce que ça veut dire ?
Qu'est-ce que je sais de ce « qui » je suis
Je n'ai pas vécu les coups, les humiliations, les punitions, je n'ai pas vécu de viol, personne pour me punir ne m'a obligé à manger quelque chose qui me faisait vomir, personne ne m'a obligé à me lever en pleine nuit pour faire cent fois le tour du jardin, personne n'est entré dans ma chambre la nuit, on ne m'a pas frappée, ni enfermée dans une cave ou un placard, on ne m'a pas obligée à toucher ou sucer le sexe de quelqu'un
Alors je me demande d'où ça vient
Quand j'ai raconté mon histoire on m'a dit :
« Mais c'est violent ce que tu as vécu »
Quoi qu'est-ce que j'ai vécu ?
Je ne me souviens pas
Est-ce que ce vide c'est la violence ?
Est-ce que ça peut être ça ?
Ne pas sentir que ça fait mal ?
Est-ce qu'on sent quelque chose quand on meurt par exemple ?
Probablement non, le moment où ça a lieu on ne sent probablement rien
Alors je me dis que de ne pas sentir la douleur c'est peut-être ça la mort
L E S H O M M ES
Dans ce récit L'homme est un archétype au sens où il est multiple, il porte l'héritage d'un mal transmis dans notre culture qui s'exprime par la maltraitance ou la défaillance, que ce soit celle des coups, des mots ou de l'absence et du silence. Ces traumas ont laissé dans nos vies et nos imaginaires des blessures qui nous constituent. Mais qui étaient-ils vraiment ces hommes de nos vies, qui sont-ils ceux qui leur ont succédé, ceux avec qui nous partageons l'espace intime et social ? Qu'ont-ils à dire ?
J'ai
choisi de mener une enquête et de leur donner la parole à partir d'un travail
filmé qui dessine au fil de la pièce un portrait sensible aux multiples facettes
et invente un langage avec les femmes au plateau.
"Quand j'étais petit je me souviens d'un
film, c'étaient des hommes de Cromagnon, un père expliquait à son fils ce que
c'était que d'être un homme : il posait une pierre sur le sol et il disait :
ça c'est un homme. Puis il dessinait un cercle autour du caillou et il disait :
ça c'est la force de l'homme, et plus l'homme est fort plus le cercle autour de
lui est grand. Et moi j'ai grandit avec cette idée que j'aimais bien, cette image de
l'homme qui est de pouvoir construire un cercle autour de moi et de pouvoir y mettre
des gens, pour prendre soin de certaines personnes. C'était ça être un homme,
voilà, être responsable de moi et des autres ». - Noal 22 ans

PERE
« Il faut repartir des faits. Nous sommes début décembre 1985
« ... Personne n'avait rien dit, rien essayé d'expliquer, qu'est-ce qu'elle aurait pu dire la mère, elle ne savait rien, il ne lui avait rien dit, ils ne s'étaient jamais rien dit ces deux-là. Ils avaient dansés un soir dans une boîte de nuit, il l'avait faite rire, elle venait de Hambourg, elle avait toujours dit qu'elle épouserait un français et il s'était présenté, voilà. « Bernard, c'est un drôle de nom », avait-elle pensé, elle avait eu du mal à le prononcer au début et puis elle l'avait tout simplement dit en allemand, « Bernhard ». Petit à petit elle ne prononçait plus le « d » final, et c'était joli finalement ce prénom avec son accent allemand. Seize ans plus tard elle avait deux filles de lui, neuf et quinze ans. Un soir elle était rentrée chez elle après son travail, ils habitaient depuis douze ans une petite maison dans un village à côté de Genève, elle avait rangé les courses, s'était mise en tenue plus décontractée pour la maison, la petite était (où ? où était-elle ?), la grande n'était pas encore rentrée. Elle avait allumé la lumière dans le salon et elle avait machinalement regardé par la porte vitrée qui donnait sur le petit jardin.
Ça avait fait un coup, au cœur, ou au ventre, comme une sensation d'intrusion, de celle qu'on a après avoir été cambriolé quand on découvre son appartement retourné, les tiroirs des meuble renversés, vidés, les chambres éventrées, avec tous les vêtements jetés par terre, déchirés...
Là il y avait tout le contenu de la voiture du père qui lui servait pour son travail déposé en vrac sur la pelouse du jardin, des classeurs dont les pages tournaient toutes seules soufflées par le vent, une boîte à outil, des sacs avec du matériel, un pneu, des boîtes de stylos, des blocs notes et toutes sorte de gadgets publicitaires qu'il vendait pour son boulot. Les feuilles s'étaient envolées, il y en avait partout, des pages de prospectus aussi collées par le vent jusque sur les carreaux humides de la porte vitrée du salon. La mère n'osait pas ouvrir la porte, elle ne bougeait plus d'un cil, son cœur battait à tout rompre et ses yeux fixaient le jardin qui ressemblait à une scène de crime. Elle s'est assise au bout d'un moment, le jardin a disparu dans l'obscurité avec le soir qui tombait, c'était comme un mauvais rêve. Il n'y avait plus trace de la scène maintenant qu'il faisait nuit, tout était noir derrière la porte vitrée du salon ».

APPROCHE CHORÉGRAPHIQUE
Conversation avec Biño Sauitzvy
Vanessa Larré - Par définition, ce qui est tu ne peut pas s'exprimer par les mots. Il s'agit de trouver un langage qui se différencie de la parole et la transcende, faire un geste qui traduise ce qui s'est inscrit dans la mémoire dont on ne se souvient pas toujours ou qu'on ne peut tout simplement pas dire avec des mots mais que notre corps « parle ».
Le mouvement chorégraphié est un geste qui danse sa langue sensible entre les lignes de la partition écrite.
Biño Sauitzvy - Quand je pense au travail chorégraphique autour de la biographie, il y a pour moi l'idée que la metteuse en scène/chorégraphe est une co-autrice, une couturière de ces récits intimes, libres de s'exprimer et d'utiliser tous les moyens pour lui donner forme. La voix, les mouvements et la peau, les muscles et les os, un visage, font partie du corps. Le corps contient des souches enfouies, archétypales, archaïques qui demandent à s'exprimer. Entre rêve et réalité, le corps est une géographie, une cartographie ou plutôt, une « corpographie », avec des courbes et des creux visibles mais avec aussi des failles et des strates souterraines. C'est un mouvement qui va de l'ombre, de l'inconscient vers le visible, l'être vu. On y accède, parfois seulement à travers un état de conscience modifié, très proche de la transe, c'est un abandon de soi dans un devenir autre.

